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Qui est Charlie ?
3 février 2015

La course

"Comment s'appelait-il ? Mohammed ? Rachid ? Isolé dans ma campagne , il m'était défendu de parler aux étrangers. On les nommait toujours de loin : "manouches", "arabes". Ça suffisait. A l'époque  (c'était  au début des années quatre-vingt) on ne parlait pas de religion. Je ne m'en souviens pas.


Quel qu'ait été son nom, je l'avais vu s'entraîner quelques jours avant la course. Petit gabarit, j'avais tout de suite repéré son allure, plus proche de celle des athlètes qu'on voyait à la télé que de la mienne. J'aimais la course à pied ; je crois même que j'étais doué pour. Mais je préférais les courtes distances, celles qui se couraient presque en apnée , se jouaient à coup de rein. Je crois bien qu'il m'avait doublé ce jour-là.  
Sur ces mornes routes sans charme, j'avais aussi croisé le grand garçon blond. Celui-là, une voiture le suivait toujours, comme s'il s'agissait d'un professionnel. Je m'entraînais avec application ; je trompais ainsi l'ennui. Sans conviction. Bien sûr, au fond de moi persistait la joie anticipée d'être admiré. Mes grands-parents me regarderaient sûrement quand je passerais devant la maison. Le parcours passait justement devant chez eux. Mais, plus l'échéance approchait, plus le trac prenait le dessus. 


Avaient-ils peur, eux ? Le jeune "arabe" et l'autre..."l'espagnol" ? Je ne sais pas pourquoi je finis par l'appeler comme ça. Il était si loin de moi.
Le jour dit, je gérai ma course comme je pus. Accablé par la  moite chaleur du mois d'août , je sentis, au bout de trois-quatre kilomètres, un point de côté. Le temps de l'atténuer, une autre douleur me prit ; c'étaient les muscles des jambes , cette fois, qui menaçaient de lâcher. Le grand garçon blond me gardait toujours à bonne distance. Il gagna. Je ne sais plus quand exactement mais "l'arabe" me doubla aussi. À ce moment, j'étais incapable de le suivre . A l'arrivée , devant la piscine municipale, je donnais tout ce qu'il me restait - "regarde celui-la comme il accélère !" fut à peu près tout ce que j'entendis sur ma droite. Puis je vis la foule (encouragements , bravos, ...) . Exténué , le sang me montait au visage. Des gouttes de sueur me rentraient dans les yeux. Je ne me préoccupais plus de rien, lorsque je fus soudain happé dans une sorte de conduit humain qui menait au podium.


Là , ce qui pouvait ressembler à des gens importants attendaient devant un dégradé de coupes. L'espagnol avait déjà la sienne et , tel Apollon, la brandissait avec fierté. Puis , tout de suite après vint mon tour. La surprise mêlée à la fatigue me firent oublier les concurrents qui - j'en étais sûr - m'avaient dépassé. À peine la récompense du numéro deux remise par un type qui devait être le maire ,le jeune " arabe " se manifesta. Il protestait. Il me la contestait, cette coupe, et cette revendication mit l'édile dans l'embarras. Etaient-ce les murmures naissants de la foule ? Ou implement le désir d'en finir ? " qui c'est , ceux-la ? - on n'en sait rien, Monsieur.- qu'est-qu'ils veulent ? - le petit arabe dit que c'est lui qui est arrivé deuxième et pas le jeune homme." Le maire se prenant pour Ponce Pilate expédia l'affaire sans autre forme de procès : je n'avais qu'à la garder , la coupe, ou je n'avais qu'à ´m'arranger avec l'autre. En m'en retournant chez mes grands-parents ,je sentais une présence derrière moi. Je me retournai ; "l'autre " me suivait.

Je ne me souviens plus exactement quel enchaînement de faits , de paroles, d'actes, me conduisit au dénouement. Il sonna une première fois pour réclamer son dû. Sans doute lui intima-t-on de déguerpir. Mais il ne fit que s'éloigner. Je ne sais plus qui, de ma grand-mère ou de mon grand-père me conseilla de céder. "Après tout, ce n'était qu'une coupe". Je finis par rendre son trophée à l'autre enfant, qui m'en donna une, beaucoup moins belle, en échange. Celle qui me revenait sans doute. Je racontai peu de temps après à mon père ce qui s'était passé. Je n'étais pas élévé dans l'esprit de compétition et ses mots me donnèrent même l'impression d'avoir bien fait."

                                                                                                          o. l. d.

 

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