Lettre de Faustina à Julien

"Cher Julien, tu dois être surpris de recevoir des nouvelles après ce long silence. J'ai plusieurs fois trituré cette lettre dans ma tête et sur mon ordinateur. J'avais besoin de temps pour repenser à notre rencontre, qui m'a rapidement embarrassée : nos mondes sont sur certains points si éloignés...et tu m'as semblé si confus .... Voici ce que je pense avoir saisi : au fond, tu es un putain d'idéaliste. Selon toi, la Raison peut tout ; elle est capable d'abolir les séparations entre les hommes, que les religions, les cultures et les nations perpétuent, selon toi, pour notre plus grand malheur - tu n'en as pas besoin, tu ne vois pas ni à quoi ça sert ni pourquoi ça existe. Pourtant, si tu en es convaincu, ton expérience est sans doute tout autre : tu as vécu l'aridité de cette assurance. Même si tu ne vois pas le rapport, elle me rappelle une séquence de l'Evangile selon saint Mathieu de Pasolini, où Jésus feint d'ignorer sa famille terrestre, qui demande à lui parler. Tu n'es pas Jésus ; peut-être même n'es-tu pas chrétien, mais j'ai senti un peu de cette folie en toi, de faire comme si un au-delà de l'horizon subjectif était non seulement possible mais réel. Dis, es-tu chrétien ? Ou te prends-tu pour une espèce de pèlerin sur cette terre ? Ou tout autre chose de ce genre ? Tu n'es pas obligé de répondre. J'ai bien ma petite idée, mais je te la soumettrai après mon bain...